Distribution de dividendes hors AGOA : la Cour de cassation remet les pendules à l’heure

La décision du Tribunal de commerce de Paris du 23 septembre 2022 (T. com. Paris, 16e ch., 23 sept.2022, n°J2021000542) avait fait grand bruit : plusieurs professionnels et commentateurs en avaient déduit l’interdiction de distribuer des dividendes en dehors de l’assemblée générale annuelle d’approbation des comptes (AGOA).

La décision du Tribunal de commerce de Paris du 23 septembre 2022 (T. com. Paris, 16e ch., 23 sept.2022, n°J2021000542) avait fait grand bruit : plusieurs professionnels et commentateurs en avaient déduit l’interdiction de distribuer des dividendes en dehors de l’assemblée générale annuelle d’approbation des comptes (AGOA), et ce, que le prélèvement soit réalisé sur le poste « Report à nouveau » ou le poste « Autres réserves ».

Certes, la déduction avait valeur, la plupart du temps, d’incitation à la prudence : il n’en demeure pas moins qu’une telle portée conférée à une décision de première instance, fût-elle du Tribunal de commerce de Paris, était pour le moins généreuse.

En effet, outre les circonstances très particulières de l’espèce, la motivation du jugement s’appuyait clairement sur la notion de dividendes fictifs, mais sans pour autant que les conditions de la qualification de tels dividendes soient vérifiées : ces conditions n’étaient pas même évoquées dans la motivation de la décision.

Par ailleurs, cette motivation n’opérait aucune différence entre le report à nouveau et les réserves, le Tribunal semblant avant tout déterminé à sanctionner une remontée de dividendes qu’il jugeait « (…) manifestement opérée dans la précipitation et à la demande du principal actionnaire ».

Bien évidemment, l’avantage de la portée d’une décision de Cour d’appel, c’est qu’il y a bien moins de débat quant à l’autorité de la juridiction ; et lorsqu’il s’agit de la Chambre Commerciale de la Cour de cassation, ce débat n’a tout simplement plus lieu d’être.

Or, deux arrêts rendus coup sur coup par la Cour d’appel de Paris puis par ladite Chambre Commerciale ont permis de clarifier les choses.

Ainsi, dans un arrêt du 30 janvier 2025, la première a jugé que les associés pouvaient décider de se distribuer des sommes prélevées sur les réserves ou sur le poste « Report à nouveau » (CA Paris, 30 janv. 2025, n° 22/17478) hors AGOA, avant que la seconde, dans un arrêt en date du 12 février 2025 (n° 23-11.410), ne juge que les distributions de dividendes opérées hors AGOA et imputées sur le poste « Report à nouveau » étaient bien contraires à la loi, et encourraient donc la nullité :

« Il résulte de la combinaison de ces textes, lesquels sont impératifs, que le report bénéficiaire d’un exercice est inclus dans le bénéfice distribuable de l’exercice suivant et que, par voie de conséquence, seule l’assemblée approuvant les comptes de cet exercice pourra décider son affectation et, le cas échéant, sa distribution. Il s’ensuit qu’encourt la nullité la délibération d’une assemblée générale autre que celle approuvant les comptes de l’exercice et décidant la distribution d’un dividende prélevé sur le report à nouveau bénéficiaire d’un exercice précédent. »

Certes, la question des distributions hors AGOA imputées sur le poste « Autres réserves » n’était pas soumise à la Haute Cour : pour autant, avant la décision du Tribunal de commerce de Paris précitée, l’immense majorité de la doctrine ne voyait aucun inconvénient à procéder ainsi – et on a vu supra quelle portée il convenait d’attribuer à celle-ci.

Ces deux dernières décisions ont une portée pratique non négligeable, en particulier pour les experts du chiffre qui œuvrent chaque jour auprès des entreprises : en effet, nombreux sont ceux qui, lorsqu’un résultat bénéficiaire ne fait pas l’objet d’une distribution de dividendes, ou pas intégralement, assimilent l’inscription au poste « Report à nouveau » à l’affectation au poste « Autres réserves », faute généralement d’y déceler des conséquences évidentes.

Or, désormais, les choses sont claires : les montants qui auront été inscrits au poste « Report à nouveau » sont en quelque sorte sanctuarisés, et ne pourront pas faire l’objet d’une affectation (et donc, le cas échéant, d’une distribution) par une autre assemblée que l’Assemblée Générale Ordinaire Annuelle, c’est-à-dire celle appelée à approuver les comptes de l’exercice suivant.

La Cour réalise au passage un rappel bienvenu sur le sens du terme « affectation », qui est une décision prise par les associés.

Ainsi, lorsque ces derniers font le choix de placer des sommes en « Report à nouveau », ils décident finalement…de ne pas décider, pour le moment (et il n’y a pas d’affectation de ces sommes).

A l’inverse, s’agissant des montants qui auront été affectés au poste « Autres réserves », ils pourront faire l’objet d’une distribution par une assemblée ordinaire, y compris quelques semaines seulement après l’Assemblée Générale Ordinaire Annuelle.

Sur ce dernier point, il est toutefois conseillé d’éviter une assemblée décidant une distribution de réserves qui serait trop proche de l’AGOA sans une justification valable, un trop court délai pouvant conduire, par exemple dans un contexte d’actionnariat difficultueux, à des tentatives de remise en cause sur le terrain de la fraude.